Politique

Economie critique(s) : L’illusion de la « relance européenne »




À l’initiative de la France et de l’Allemagne, un plan de relance a été proposé par la Commission européenne pour un montant total de 750 milliards d’euros. Il pourrait donc être tentant d’y voir une étape décisive de la construction européenne au cœur de la crise du coronavirus.

Mais dans ce genre de négociations, le diable est toujours dans les détails. Il est probable qu’un accord finisse par être trouvé, mais son sens dépendra entièrement de ses modalités : sera-t-il étalé jusqu’en 2022 ou en 2024 ? Sera-t-il soumis à des conditions de « bonne gouvernance » de la part des pays du sud de l’Europe ? Sera-t-il plutôt composé de prêts ou de subventions ? La réponse à chacune de ces questions déterminera si les pays du nord continuent d’approfondir la mise sous tutelle des pays du sud ou si la construction européenne s’achemine réellement vers une nouvelle étape de son histoire. Or, le rapport de force reste favorable aux pays du nord, et il est probable qu’ils parviennent à vider le plan de son sens fédéraliste malgré le retournement de la position allemande.

Les commentateurs naïfs qui ont comparé la proposition franco-allemande au moment historique où, en 1790, les États-Unis sont pleinement devenus un État fédéral en choisissant d’émettre une dette commune, risquent d’être vite déçus. À l’heure où nous écrivons, l’état des négociations prévoit déjà que de nombreuses « réformes » seront exigées des pays du sud pour recevoir les subventions. Autant dire qu’on est encore bien loin d’une situation où les États membres seraient traités par l’UE de la même manière que la France finance ses régions ou ses départements. De lourdes mesures d’austérité seront sans doute exigées pour le déblocage des fonds, mesures qui ne manqueront pas d’approfondir la faiblesse économique structurelle des pays du sud. Un remake à grande échelle de la crise grecque de 2015 est à craindre.

Étant avant tout un marché unique, l’Union Européenne a elle-même approfondi les conditions qui l’empêchent aujourd’hui de définir une politique de relance ambitieuse à échelle fédérale. En abattant les frontières économiques intérieures tout en maintenant ses frontières extérieures, elle a contribué à la polarisation du capitalisme européen : à l’image de ce qui s’est déroulé au XIXe siècle dans chaque pays pris séparément, les différents secteurs se sont concentrés dans des régions localisées. En résultent des spécialisations très inégales et des déséquilibres profonds, à l’avantage de pays comme l’Allemagne qui ont pu conserver voire développer leur tissu industriel tandis que les pays du sud, peu compétitifs, étaient dépouillés de leurs usines. Ce processus n’a eu de cesse de s’approfondir, de sorte que les intérêts des différents pays européens sont de plus en plus divergents sur le plan économique. Le transfert systématique des richesses entre les territoires reste à ce jour ce qui met en jeu l’existence même de la construction européenne.

Mathis (UCL Grand Paris-Sud) – Groupe de travail économie

 
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