Chronique du travail aliéné : Anita*, distributrice de colis




Chaque mois, les
chroniques
du ttravail
aliéné
par Marie-Louise Michel,
psychologue du travail

<titre|titre= "Ils ont même mis sous clef le papier toilette!">

J’ai mal au dos, c’est séances de kiné
sur séances de kiné. C’est le vidage des
containers. C’est très dur, on en ressort
cassés. Je réclame un diable pour
transporter les paquets, mais on me
répond : « Avant, on faisait sans. » On
charge les paquets qui rapportent le
plus dans les voitures, on les distribue,
on revient, on emporte les sacs des fac-
teurs dans les dépôts, et après on trie
les containers. On distribue nos paquets
comme on peut. Le tarif, c’est 23
paquets à l’heure. Des fois ça va, ça
dépend des quartiers, ça dépend de la
densité de la circulation. On peut se
trouver derrière des camions poubelles
ou de livraison, dans des embouteillages... Pour aller plus vite on laisse les
colis n’importe où, chez les voisins,
dans les magasins à côté, même les
recommandés, pour améliorer nos résultats. Une collègue va passer en conseil
de discipline à cause de ça : elle a laissé une lettre recommandé chez la voisine sans autorisation et la personne ne
l’aurait pas prise : c’était sa lettre de
licenciement. Comme elle est contractuelle, la collègue a peur d’être virée, et
pourtant, elle, elle faisait ses chiffres !
La ville est partagée en deux équipes
mises en concurrence : c’est à ceux qui
en distribuent le plus par mois. Si on
gagne, on a 20euros de plus sur notre
paie. Il y en a que ça fait cavaler. Tout
juste s’ils s’arrêtent aux feux rouges, ils
hurlent après les conducteurs trop lents,
ils se garent n’importe où, ils marchent
au café toute la journée et aux somnifères le soir. Du coup il y a de plus en plus
de crises de nerf ; les accidents du travail augmentent. On est à la limite de se
taper dessus entre nous. C’est la guéguerre avec les nouveaux services bancaires. Ils ont monté des murs au milieu
de certains bureaux de poste et même
mis sous clef le papier toilette !

On avait fait une journée de grève, le
directeur du centre a envoyé un huissier
pour constater qu’il y avait entrave au
travail. Un collègue s’est mis à hurler :
« Il va falloir qu’il y en ait un qui se suicide pour que vous compreniez ? »

Ils nous disent qu’on risque le chômage
technique, que le trafic baisse parce
que c’est la crise… Mais pour nous, la
cadence augmente. Il y en a qui sont
d’accord pour trier, pour laisser de côté
les colis à tarif économique et tant pis
pour ceux qui attendent. Moi je préfère
finir, tout distribuer, mais ça me fait des
heures en plus. Du coup je m’énerve
aussi, je ne supporte plus les conducteurs qui respectent le code de la route.
J’en suis là.

Le directeur est en burn out, il est arrêté depuis un moment maintenant. Le
second vient de faire un infarctus… Ça
ne me console pas, mais quand même…
Et il paraît qu’on postule pour la palme
de bronze pour la santé au travail… Ils
vont nous envoyer des psychologues de
gestion du stress. Il faudra qu’ils fassent
gaffe à ne pas se faire foutre dehors !

 
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