Histoire

Lire : Kalifa, « Biribi, les bagnes coloniaux de l’armée française »




Il y a un siècle, pas un jeune
Français n’ignorait ce qu’était
Biribi, dont le nom seul suffisait
à faire frissonner les plus durs.
Des histoires terrifiantes circulaient sur les horreurs qui s’y
commettaient, les sévices qu’on
y infligeait : « le silo », la crapaudine, « les barres de justice ».
Biribi, c’était le surnom donné à
l’ensemble des structures disciplinaires et pénitentiaires de l’armée coloniale en Afrique du
Nord. L’armée les avait baptisés
« corps spéciaux » ; les antimilitaristes les appelaient des
« bagnes militaires ». Les jeunes soldats
qu’on y envoyait étaient des fortes têtes en
tous genres : voyous, rebelles à la discipline ou militants condamnés pour propagande antimilitariste.

Des romans (Biribi, de Georges Darien,
en 1890), des chansons (A Biribi, d’Aristide
Bruant, en 1891), des reportages (Dante
n’avait rien vu
,d’Albert Londres, en 1924)
ont largement nourri l’imaginaire autour
de cet enfer. Au maximum de son extension, dans les années 1910-1914, entre
10.000 et 15.000 hommes y cassaient des
cailloux sous un soleil de plomb.
L’atmosphère qui y régnait était
d’une violence extrême et la hiérarchie sociale entre détenus, fondée sur l’homosexualité systématisée, implacable.

La lutte pour l’abolition de
Biribi fut à l’époque un des
grands thèmes du mouvement
anarchiste et syndicaliste, ainsi
que de la Ligue des droits de
l’homme. En février 1912,
120.000 personnes manifestèrent à Paris contre Biribi, en suivant le cercueil du jeune soldat
Aernoult, assassiné par un
« chaouch » (un sous-officier).

Le milieu du gangstérisme, dans les
années 1920, fut en partie l’héritier d’une
culture développée à Biribi : tatouages,
hiérarchie stricte, règlements de comptes et
amitiés viriles.

L’historien Dominique Kalifa livre, pour
la première fois, une histoire politique,
économique et culturelle de cet « archipel
du goulag » à la française dont les derniers
îlots, implantés à Djibouti, ne furent abolis
que dans les années 1970.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

  • Dominique
    Kalifa, Biribi, les
    bagnes coloniaux
    de l’armée
    française
    , Perrin,
    2009, 342 pages,
    21 euros.
 
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