Dossier Révolution haïtienne : En Guadeloupe, malgré la résistance, Bonaparte rétablit l’esclavage




En mai 1802, un mauvais pressentiment provoque une mutinerie anti-esclavagiste, vite écrasée. Mais l’écho du retour de l’esclavage à la Guadeloupe va provoquer l’insurrection populaire à Saint-Domingue.

Outre Saint-Domingue, le royaume de France possédait, au XVIIIe siècle, de plus petites «  îles à sucre  » aux Antilles, comme la Guadeloupe et la Martinique. Mais là, les colons blancs avaient fermement défendu leur pouvoir, et avaient même fait appel à la protection de la couronne britannique contre les folies égalitaristes de la Révolution française. C’est ainsi qu’en mars et avril 1794, l’armée anglaise s’est emparée des deux îles. Elle occupera jusqu’en 1802 la Martinique, qui ne connaîtra donc pas l’abolition de l’esclavage. À la Guadeloupe en revanche, les forces républicaines ont contre-attaqué en brandissant la loi d’abolition, les esclaves se sont soulevés, et les les anglo-royalistes ont été chassés en décembre 1794.

Mémorial du sacrifice de Delgrès, à Basse-Terre (Guadeloupe).
Sculpture de Jacky Poulier, 1998.

Il s’est ensuivi six années de pouvoir républicain. Comme à Saint-Domingue, celui-ci a tâché de relancer l’économie de plantation, via le salariat, pour expédier du sucre en métropole. Et ici aussi, Noirs et Mulâtres ont pris du galon dans l’armée.

Or tout est remis en cause en juin 1801 avec l’arrivée à la tête de la colonie d’un «  capitaine général  », Lacrosse, nommé par Bonaparte. Réactionnaire, il persécute les officiers de couleur. Tant et si bien que fin octobre, une révolte le renverse ; le colonel mulâtre Magloire Pélage prend alors sa place. Mais Pélage ne sera pas le Toussaint Louverture de la Guadeloupe. Loyaliste envers Paris, il approuve, en février 1802, l’expédition du général Leclerc pour reprendre le contrôle de Saint-Domingue. Et quand, le 6 mai, il voit débarquer à la Guadeloupe une expédition similaire – 3.500 soldats commandés par le général Richepance –, Pélage se soumet.

Statue du capitaine Ignace, au Abymes (Guadeloupe).
Sculpture de Jacky Poulier, 1998.

Baroud d’honneur à Matouba

Cette reprise en main a cependant trop l’odeur du pouvoir blanc et d’un possible retour de l’esclavage. Aussi, très tôt, une mutinerie éclate. À sa tête : le commandant mulâtre Louis Delgrès et le capitaine noir Joseph Ignace. Mais les forces sont top inégales, et les résistants sont écrasés au bout de trois semaines par Pélage et Richepance. Le 25 mai, les 800 défenseurs de la redoute de Baimbridge sont massacrés ; Ignace préfère se suicider. Trois jours plus tard, plusieurs centaines d’insurgées – hommes, femmes et enfants – dirigés par Delgrès sont encerclés sur une habitation à Matouba. Ils et elles résistent pied à pied et s’époumonent : « Vivre libres ou mourir ! » Ils ne mentent pas. Sans illusion sur l’issue du combat, ils ont truffé le bâtiment de charges de poudre. Quand les soldats français y pénètrent, tout saute [1].

Statue de la mulâtresse Solitude, aux Abymes (Guadeloupe).
Sculpture de Jacky Poulier, 1998.

Vainqueur, Richepance se sent pousser des ailes. Le 17 juillet 1802, sans l’aval de Paris ni concertation avec son homologue Leclerc, il signe un décret retirant la citoyenneté à tous les Noirs et Mulâtres, et rétablissant l’esclavage ! La nouvelle franchit rapidement la mer, et va provoquer à Saint-Domingue l’insurrection populaire qui sera fatale à l’occupant français. Le 9 août 1802, le général Leclerc expédie une lettre amère à Bonaparte, déplorant le décret de Richepance, publié « trois mois trop tôt », de façon « bien impolitique et bien maladroite pour Saint-Domingue ».

Guillaume Davranche (UCL Montreuil)


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[1Roland Anduse, Joseph Ignace, le premier rebelle, Jasor, 1989.

 
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