Édito : Ci-gît l’esclavagisme




Le dossier spécial d’Alternative libertaire de juillet-août 2021 a voulu dépasser les légendes dorées et l’hommage aux grands personnages, pour comprendre les ressorts populaires de la Révo­lution haïtienne (1791-1804), qui ­sonna le début de la fin du système esclavagiste dans l’hémisphère occidental.

Que faire quand on a renversé le pouvoir politique, mais qu’on hérite d’un modèle économique que l’on déteste ? Que faire face aux impérialismes voisins, qui cherchent à vous instrumentaliser, mais que vous pouvez aussi instrumentaliser ? Que faire pour construire l’autonomie productive du pays, tout en respectant l’aspiration profonde des travailleuses et des travailleurs à jouir d’une liberté arrachée de haute lutte ? Comment inventer une société multiraciale après les crimes de l’esclavage et de la guerre coloniale ?

Toutes ces questions brûlantes se posèrent aux révolutionnaires anti-esclavagistes de Saint-Domingue, qui fondèrent Haïti en 1804.

En août 1791, les esclaves insurgées incendièrent les plantations où ils avaient vécu l’enfer. Et les insurgées comprirent rapidement le bénéfice qu’ils pouvaient tirer des rivalités inter-impérialistes. Toussaint Louverture combattit sous drapeau espagnol, puis français, s’entendit avec l’Angleterre puis les États-Unis, adaptant ses alliances à son propre objectif : imposer la « liberté générale ».

En 1793, acculées, les autorités françaises abolirent l’esclavage et le fouet, et organisèrent la transition vers le travail salarié. Mais, même rémunérés, les cultivateurs et cultivatrices émancipées rejetaient le labeur collectif et discipliné propre aux plantations, aspirant à la vie indépendante qu’on leur avait jusque-là refusée : un lopin de terre nourricier, une maison individuelle, une famille réunie.
Répondre à cette aspiration impliquait de diviser les grands domaines et de redistribuer les terres en petits lots familiaux. Donc de rompre avec l’agriculture d’exportation – de sucre, de café, de coton et d’indigo – qui avait fait la richesse de Saint-Domingue. Mais comment, alors, financer la révolution, acheter les armements pour la défendre, bâtir les infrastructures nécessaires à l’autonomie du pays ?

Les chefs révolutionnaires choisirent de relancer la production en la militarisant : « la sûreté de la liberté l’exige » proclamait paradoxalement un des règlements de culture de Toussaint Louverture. Sa popularité s’en ressentit durement et, face à une bourgeoisie désormais multicolore, la révolte paysanne gronda. Au pire moment, alors qu’une expédition militaire fran­çaise faisait voile vers l’île.

Ces problématiques passionnantes sont explorées dans ce dossier spécial d’Alternative libertaire, qui a voulu dépasser les légendes dorées et l’hommage aux grands personnages, pour comprendre les ressorts populaires de cette révo­lution qui ­sonna le début de la fin du système esclavagiste dans l’hémisphère occidental.

Un dossier coordonné par Cuervo (UCL Marseille), Irène Lestang (Haute-Savoie) et Guillaume Davranche (UCL Montreuil)

  • Merci à Mathieu Colloghan pour le portrait original de Toussaint Louverture en couverture, et à l’historien Sudhir Hazareesingh pour sa relecture critique.
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AU SOMMAIRE


Saint-Domingue en 1789 (cliquer pour agrandir)
D’après la carte de Jacques Bellin (1764).
 
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